La filature d’une victime d’un accident de la circulation, organisée sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, sans provocation aucune à s'y rendre, et relative aux seules mobilités et autonomie de cette personne, constitue une atteinte à sa vie privée proportionnée au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits de l’assureur et aux intérêts de la collectivité des assurés
La première chambre civile de la Cour de cassation semble rendre une solution assez novatrice concernant les moyens de preuve utilisables par un assureur.
En l’espèce, la victime d’un accident de la route a été indemnisée du fait d’un syndrome frontal important et de séquelles psychiatriques (incapacité permanente partielle de travail [IPP] évaluée à 66%).
Quelques années plus tard, estimant que son état de santé s’est aggravé, elle saisit le juge des référés afin d’obtenir la désignation d’un expert. Ce dernier conclut à l’assistance définitive d’une tierce personne dans tous les actes de la vie courante, notamment les repas et les sorties, compte tenu de l’absence d’espoir d’une évolution positive au plan de l’autonomie.
La personne responsable de l’accident et son assureur contestent alors ces conclusions et font procéder, par un enquêteur privé assisté en partie par un huissier, à une filature de la victime pendant trois jours lors de ses déplacements en dehors de son domicile, sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public et sans stratagème.
Il s’avère que les constatations faites au cours de la filature viennent contredire le dernier rapport d’expertise : la victime y conduit seule son véhicule, accompagne des enfants à l’école, effectue des achats, assiste à des jeux de boules, s’attable au café et converse avec des consommateurs.
La cour d’appel déboute donc la victime de sa demande. Cette dernière forme un pourvoi en cassation fondé sur un moyen unique, estimant que la cour d’appel a privé de base légale son arrêt au regard des articles
9 du Code civil,
9 du Code de procédure civile et
8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La Cour suprême doit ainsi se prononcer sur la validité du procédé de filature portant nécessairement atteinte à la vie privée de la personne suivie et filmée.
Elle rejette le pourvoi au motif que la filature effectuée sur la voie publique sans aucune provocation, relative aux seules mobilités et autonomie de la victime n’était pas « disproportionnée au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits de l’assureur et des intérêts de la collectivité ».
Cet arrêt, promis à de nombreux commentaires, constitue une brèche ouverte aux assureurs qui pourront ainsi remettre en cause les rapports médicaux autrement que par une contre-expertise, mais à la double condition énoncée par la Haute cour :
– que la filature soit effectuée sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, sans aucune provocation ;
– que la filature se cantonne à la mobilité et à l’autonomie de la personne suivie.
Sous cette réserve, et afin de préserver leurs droits
et les intérêts de la collectivité des assurés, les compagnies d’assurance peuvent désormais procéder à la filature de prétendues victimes.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000026572784&fastReqId=1907699668&fastPos=1